- NEUROLOGIE (HISTOIRE DE LA)
- NEUROLOGIE (HISTOIRE DE LA)Entré dans la langue française aux environs de 1690 sous la forme, aujourd’hui caduque, de «névrologie», le terme de neurologie, utilisé à partir de 1732 pour désigner la branche de la médecine qui étudie l’anatomie, la physiologie et la pathologie du système nerveux – et principalement du cerveau –, reçut sa consécration officielle de Jean Martin Charcot lorsqu’il fonda en 1880 les Archives de neurologie . Si les connaissances et conceptions générales concernant le système nerveux se sont principalement organisées et développées en un peu plus d’un siècle et demi, entre la venue à Paris en 1807 de Franz Josef Gall et les études sur les neurotransmetteurs dans les années 1960, leur histoire antérieure depuis Aristote, bien qu’incommensurable avec celle de ladite période, présente un intérêt réel, qui est d’emblée épistémologique. On y voit se déployer progressivement l’hypothèse de la res extensa , notamment avec ce principe que toute représentation serait localisable. Et, certes, les derniers triomphes de la théorie du tout neuronal peuvent déchaîner l’ironie, comme ici chez le philosophe et poète Michel Deguy: «Sans cesse perfectionnée depuis bientôt 200 ans, la “localisation cérébrale”, passant de la bosse à l’aire et au neurone, est le programme et la réussite; et “donc” la preuve du bien-jeté de l’hypothèse. Pas seulement “le langage”, pas seulement ce souvenir de madeleine trempée, mais ce mot (celui que vous “avez perdu” à l’instant, que vous aviez dans la tête), mais la quatrième mesure de l’adagio du 106... est assignée au n -ième dendrite en entrant à gauche; question de finesse de l’excitation par micro-impulsion électrique. L’âme est une cassette» (in M. de Diéguez dir., Le Cerveau , Jérôme Millon, Grenoble, 1989). Mais ce n’est pas ici le lieu de discuter du fameux problème du «parallélisme» psychophysiologique. En toute rigueur, on n’a affaire qu’à l’histoire de disciplines – les neurosciences – qui observent, expérimentent et interviennent de manière aujourd’hui spectaculaire sans prétendre, en tant que telles, développer une quelconque philosophie cybernétique du sujet.Des origines à l’âge classiqueSi le vocable de neurologie s’est imposé surtout à partir de Jean Martin Charcot, les premiers documents concernant la pathologie du système nerveux remontent loin dans la préhistoire; le plus ancien des crânes de traumatisés que nous possédons nous vient du Paléolithique, de l’homme de Néanderthal. Des anthropologistes tels que Pierre Paul Broca et Léonce Manouvrier ont examiné, au XIXe siècle, des crânes néolithiques qui présentaient de vastes pertes de substances témoignant d’une trépanation. Des dépressions retrouvées sur la face interne d’autres crânes de la même époque ont été rattachées à des tumeurs cérébro-méningées et à des méningiomes. Au XVIIe siècle avant J.-C., le papyrus d’Edwin Smith révèle l’existence, chez les Égyptiens, de connaissances neurologiques précises. Par exemple, l’hémiplégie spasmodique est décrite avec concision: «L’œil de ce côté louche [...]; les ongles sont au milieu de la paume [...]; il marche en traînant la plante du pied» (M. Laignel-Lavastine, «Histoire de la neurologie», in Histoire générale de la médecine ). Les troubles de la parole sont déjà notés dans ce contexte, de même que les conséquences des atteintes des vertèbres cervicales: paralysie sensitive et motrice des membres, des vertèbres du «milieu du cou», incontinence d’urine, priapisme et spermatorrhée. Les Égyptiens connaissaient aussi la cécité et les paralysies provoquées par les troubles circulatoires du cerveau. Ils avaient des spécialistes pour le traitement des céphalées. Si leurs connaissances anatomiques sont restées rudimentaires, elles dépassent, à l’époque, celles des autres peuples de l’Orient ancien, Sumériens, Assyriens, Hébreux, pour lesquels le cerveau ne jouait qu’un rôle bien effacé, le cœur et le foie étant les seuls centres de l’intelligence et du sentiment.Dans l’Antiquité classique, les Grecs situent l’encéphale dans le crâne et la moelle épinière dans les vertèbres, mais ils font siéger la sensibilité dans les viscères, le cœur, le foie, le diaphragme. Plus tard, Alcméon de Crotone, au VIe siècle avant J.-C., établit par la dissection et la vivisection des animaux les relations des organes des sens avec le cerveau et fonde la théorie de la sensation.Avec Hippocrate (460-377 av. J.-C.), c’est la naissance de la clinique neurologique. La Collection hippocratique, en effet, nous livre des documents de tout premier ordre. Le cerveau et la moelle forment un seul organe: le myélencéphale, qui, pour Platon, commande toute l’économie de l’homme. Mais surtout le cerveau devient le siège de l’intelligence, de la motricité, de la sensibilité. L’entrecroisement des troubles moteurs (paralysies et convulsions) et des troubles sensitifs (sensations anormales, dysesthésies, douleur) est établi et prend, comme le dit Souques, le caractère d’une loi. Au VIIe livre des épidémies, l’auteur signale des paralysies à gauche lorsque l’atteinte traumatique est à droite et à droite lorsque celle-ci est à gauche. Hippocrate donne une bonne description des signes méningés, de l’apoplexie et de ses prodromes, et il signale la gravité pronostique de la dyspnée, des sueurs profuses, de la «rotation continuelle des yeux». Il étudie avec perspicacité les luxations des vertèbres avec leurs conséquences aux divers étages de la colonne vertébrale. Il décrit aussi des cas de migraine ophtalmique avec vision unilatérale d’un éclair et douleur violente dans la tempe.Aristote (384-322 av. J.-C.) accumule sur le système nerveux des conceptions étranges. Pour lui, le cerveau, organe froid et insensible, ne sert qu’à refroidir le sang chaud venu du cœur, qui est le siège des sensations, des passions et de l’intelligence – étrange recul par rapport à Hippocrate, qui avait placé l’intelligence dans le cerveau. Mais, à la même époque, Hérophile et Érasistrate pratiquent la dissection des cadavres humains et même des expérimentations sur des condamnés vivants; le premier, en anatomiste, reconnaît les nerfs qui relient les centres aux organes et les individualise en nerfs de mouvements et nerfs de sentiments, malgré quelques confusions entre nerfs, tendons et ligaments; le second précise les fonctions intellectuelles des circonvolutions cérébrales et prophétise les fonctions de coordination du cervelet. Mais il place l’âme dans le ventricule de celui-ci.Avec Galien de Pergame (131-200), la neurologie antique atteint son apogée. Galien, ajoutant ses découvertes aux travaux de ses devanciers, élabore une brillante synthèse anatomo-physio-clinique, qui, pendant plus d’un millénaire, restera la bible de tous les neurologues. Il établit que le cerveau est bien le centre du mouvement volontaire et de la sensibilité, qu’il est le premier principe de tous les nerfs, la moelle n’étant qu’un intermédiaire auquel l’encéphale transmet les propriétés qu’elle manifeste. Sur le plan clinique, il formule des diagnostics topographiques. Il repère les atteintes radiculaires, médullaires et cérébrales. Dans le même mouvement, la loi de l’entrecroisement des symptômes et des lésions est confirmée. Au IVe siècle, l’évêque Némésios sépare définitivement les nerfs moteurs des tissus fibreux et, au VIIe siècle, Théophile attribue aux nerfs olfactifs le rang de première paire crânienne.Le Moyen Âge est caractérisé par une léthargie presque totale en neurologie. Citons quelques noms surtout parmi les Arabes: le chirurgien Ab al-Q sim (Abulcasis), dans la seconde moitié du Xe siècle, dissuade d’inciser et de trépaner les hydrocéphales; Avicenne (face="EU Upmacr" 壟bn S 稜n ), médecin et philosophe musulman d’origine iranienne (980-1037), collige et interprète Némésios et Poséidonios, qui avaient localisé les fonctions intellectuelles dans les ventricules du cerveau. Constantin l’Africain (1015-1087), polyglotte et encyclopédiste originaire de Carthage, résume les doctrines de Galien sur le système nerveux d’après les versions arabes en un texte qui fera autorité jusqu’au XVIe siècle. Médecin ordinaire du roi, Laurent Joubert (1529-1582), qui entreprend d’en finir avec le mythe d’une langue originelle, a fort bien saisi le rapport étroit entre audition et phonation et comprend que la transmission d’une langue se fait par imitation et par éducation du mimétisme oral. C’est le fruit d’une acquisition, «art ou discipline». Rien là qui appartienne à une nature d’ordre métaphysique. Cette idée s’appuie, chez Joubert, sur un certain nombre d’observations cliniques, en particulier sur l’observation des moyens d’expression chez les sourds. Évoquant l’exemple des enfants d’un apothicaire de Toulouse dont les fils sont devenus sourds vers l’âge de quatre ans et, par voie de conséquence, muets, cependant que les filles gardaient intactes leurs facultés auditives et élocutives, Joubert reconnaît le rôle de l’apprentissage et se penche sur le problème des relations entre l’amnésie et l’aphasie (C. G. Dubois, Mythes et langage au XVIe siècle ), l’existence de celle-ci plaidant, à ses yeux, en faveur de l’acquisition de la langue, car on ne peut perdre que ce qui est acquis, non ce qui est inné.Au XVIe siècle, Nicolas Massa, dans un cas de fracture du crâne due à un coup de hallebarde, rend la parole au blessé par l’extraction du fragment osseux qui avait pénétré dans le cerveau. La chirurgie que les médecins abandonnent aux barbiers est cependant illustrée à l’époque par Ambroise Paré (1510-1599). Avec des chirurgiens tels que lui, c’est déjà la pleine Renaissance et le début de l’époque moderne, bien que l’admiration de l’Antiquité s’exprime alors, par exemple, dans le fait que, devant la faculté de Montpellier, en 1546, Rabelais, pour sa thèse, argumente en grec sur les textes d’Hippocrate. L’anatomiste parisien Charles Estienne (1504-1564) s’en prend à l’esprit de l’enseignement médical et préconise la pratique de la dissection des cadavres et de ce qui constituera par la suite l’enseignement clinique. De leur côté, Vésale, Varole, Jean Fernel, André Du Laurens et Riolan, qui font de grands progrès dans la dissection du corps humain et l’anatomie descriptive, s’intéressent particulièrement à la prospection du système nerveux.Au XVIIe siècle, Descartes enrichit la connaissance neurologique par l’observation et l’expérience. Sa découverte fondamentale est celle du réflexe (qui ne sera nommé ainsi qu’en 1743 par Jean Astruc), cet acte élémentaire du fonctionnement du système nerveux. Dans le traité de L’Homme , en 1640, il reconnaît qu’à la sensation est liée la réponse motrice: automatiquement, la main se retire de la flamme qui la brûle «ainsi que, tirant l’un des bouts d’une corde, on fait sonner en mesme temps la cloche qui pend à l’autre bout». Dans le même sens, Nicolas Malebranche établit la théorie de l’innervation vasomotrice (1674).Mais c’est Thomas Willis, anatomiste et physiologiste anglais (1622-1675), qui domine toute cette période. «Neurologiste complet, clinicien et théoricien [...], il distingue dans le cerveau et le cervelet la substance grise, corticale, et la substance blanche, médullaire, assignant un rôle à chacune, indiquant chemin faisant l’importance de la configuration et celle de la substance ou “texture”. Il décrit le polygone artériel de la base du cerveau, qui porte encore son nom [...]. Puis, en pathologie, il rapporte la léthargie à l’écorce cérébrale, siège de la mémoire, du sommeil; à la substance blanche et au corps calleux il rattache l’épilepsie; aux corps striés, grand centre sensitivo-moteur, à la moelle allongée et aux nerfs, les divers types de paralysies; au cervelet il rattache notre syndrome bulbaire» (M. Laignel-Lavastine, loc. cit. ). Il aborde avec une parfaite lucidité bien d’autres points concernant le mal de mer, les céphalées paroxystiques, l’œdème cérébral, les abcès, les tumeurs cérébrales, les adhérences cranio-méningées, les méningites, les hémorragies cérébrales et les inondations ventriculaires. Le médecin anglais Thomas Sydenham, inventeur du laudanum (1624-1689), isole la danse de Saint-Guy, à laquelle on a donné le nom de chorée de Sydenham. Avec Marcello Malpighi, médecin et anatomiste italien (1628-1694), qui peut être considéré comme le premier à utiliser l’anatomie microscopique, s’ouvre l’ère nouvelle des examens microscopiques: l’écorce cérébrale apparaît comme formée d’un amas de petites glandes d’où partent les racines et les nerfs.Le XVIIIe siècleAu XVIIIe siècle, caractérisé par l’épanouissement des théories physiologiques, les connaissances en anatomie continuent de s’accumuler. Raymond Vieussens (1641-1715), durcissant le cerveau par la cuisson dans l’huile, décrit le centre ovale et la capsule interne. Plus tard, Félix Vicq d’Azyr (1748-1794) distingue les régions frontale, pariétale, occipitale, tandis que Jacques-Bénigne Winslow individualise des éléments nerveux et que Leuwenhoek puis Fontana fondent l’histologie nerveuse. On continue, durant cette période, à essayer de localiser l’âme, que Descartes avait liée, sous les espèces des «esprits animaux», à la glande pinéale. Le centre ovale, l’écorce cérébrale, le corps calleux, la moelle allongée, les ventricules sont tous pressentis comme étant le siège de cette instance invisible. Kant lui-même interviendra dans ces discussions pour empêcher de localiser dans l’espace une chose qui ne peut être déterminée que dans le temps. «L’œuvre propre du XVIIIe siècle, écrit Maxime Laignel-Lavastine, réside dans les théories dynamistes de l’activité nerveuse issues de l’irritabilité de Glisson (1672). Le Bernois Albert de Haller et le Morave Georges Prochaska créent la physiologie nerveuse moderne [...]. Les tissus nerveux jouissent de deux propriétés: la sensibilité et l’irritabilité. Prochaska établit la théorie générale des réflexes et [...] démontre que la moelle, elle aussi, exerce des fonctions de centre nerveux [...]. L’influence de Haller fut profonde. De lui dérivent [...] William Cullen, le créateur des névroses, John Brown, le père des sténies et des asthénies, le grand psychiatre vitaliste, Stahl, et, à plus longue distance, François Broussais, dont la pathologie fonctionnelle, basée sur l’inflammation des organes, fera le pont avec les pathogénies infectieuses encore lointaines.»Si Thalès (env. 640-env. 550) connaissait déjà la propriété de l’ambre jaune ou succin (en grec élektron ) d’attirer les corps légers, c’est seulement au XVIIIe siècle que l’électricité va connaître ses premières applications humaines avec Stephen Gray (1666-1736), qui montre que l’on peut transporter «la vertu électrique» par des fils de soie à travers le corps humain. Kruger de Helmstadt (1744), Jallabert de Genève (1706-1767), Boissier de Sauvages, Mauduyt, Kratzenstein appliquent l’électricité statique aux paralysies, tandis que Marat, le futur «Ami du peuple», pose les indications de l’électrothérapie pour les diverses maladies nerveuses. En 1791, Luigi Galvani (qui a donné son nom au galvanomètre) observe les contractions des membres d’une grenouille en interposant un arc de métal entre deux parties du tronc de l’animal; il conclut que les nerfs et les muscles sont chargés d’électricités contraires.Dans le même temps, les chirurgiens opèrent les abcès du cerveau et certains traitent des épilepsies traumatiques par la trépanation. Mais l’histoire de la neurologie, elle non plus, n’est pas linéaire; elle comporte des révisions parfois surprenantes. Au moment où les médecins admettent la suprématie du cerveau et son rôle de phare dans le comportement humain, Buffon écrit tranquillement dans son Histoire naturelle : «Ce qui a pu donner lieu à cette opinion que le siège de toutes les sensations et le centre de toutes les sensibilités étaient dans le cerveau, c’est que les nerfs, qui sont dans les organes du sentiment, aboutissent tous à la cervelle, qu’on a regardée dès lors comme la seule partie commune qui pût en recevoir tous les ébranlements, toutes les impressions [...]. Cette supposition a paru si simple et si naturelle qu’on n’a fait aucune attention à l’impossibilité physique qu’elle renferme [...]. L’on dira peut-être, d’après Descartes [...], que ce n’est point dans la cervelle, mais dans la glande pinéale ou dans le corps calleux, que réside ce principe; mais il suffit de jeter les yeux sur la conformation du cerveau pour reconnaître que ces parties [...] ne tiennent point aux nerfs, qu’elles sont toutes environnées de la substance insensible de la cervelle [...]. La cervelle, aussi bien que la moelle épinière, qui n’en sont que la prolongation, est une espèce de mucilage à peine organisé; le cerveau est aux nerfs ce que la terre est aux plantes [...]. Le cerveau, au lieu d’être le siège des sensations, le principe du sentiment, ne sera donc qu’un organe de secrétion et de nutrition, mais un organe très essentiel! [...] Des plantes, on observera qu’elles ne tirent pas les parties grossières de la terre ou de l’eau. De même, dans les nerfs, la nutrition ne se fait qu’au moyen des parties les plus subtiles de l’humidité du cerveau [...]. J’avoue que, lorsqu’on le comprime, on fait cesser l’action du sentiment; mais cela même prouve que c’est un corps étranger à ce système [...]. J’avoue encore qu’en déchirant la substance médullaire, et en blessant le cerveau jusqu’au corps calleux, la convulsion, la privation de sentiment et la mort même suivent; mais c’est qu’alors les nerfs sont entièrement dérangés [...], déracinés ou blessés tous ensemble et dans leur origine.»Des faits particuliers, selon Buffon, prouvent aussi que le cerveau n’est ni le centre du sentiment ni le siège des sensations. La tyrannie selon laquelle «les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité» (Buffon) a dû intimider plus d’un. Et, de ce fait, durant toute la fin du XVIIIe siècle et même dans le début du XIXe siècle, plus personne dans le sillage du naturaliste n’osera localiser pensée et sentiment dans le cerveau. Mieux: sujet tabou, on n’en parle plus jusqu’à l’arrivée d’un médecin allemand, Frantz Joseph Gall (1758-1828). Fondateur de la phrénologie, Gall, dont les publications s’échelonnent de 1810 à 1818, voulait localiser la mémoire des mots derrière les orbites en raison de l’excellente mémoire manifestée par des camarades de classe aux yeux à fleur de tête. Il finit par localiser le langage dans les lobes frontaux. «On peut admettre comme un axiome, écrit-il, que les organes d’ordre inférieur servent comme des appareils préparatoires aux organes qui, dans les animaux plus parfaits, sont destinés à des fonctions plus élevées. Tant que des systèmes inférieurs existent seuls, ils agissent isolés; mais, dès que plusieurs organes existent dans un seul individu, ils doivent nécessairement avoir, les uns sur les autres, une influence réciproque établie par des branches de communication» (cité par A. Ombredane, L’Aphasie et l’élaboration de la pensée explicite ).Nous sommes donc ici en présence d’une conception très proche, en sa généralité, de nos conceptions actuelles sur les fonctions et sur l’architecture du cerveau: ce qui caractérise la vie psychique, c’est l’organisation des fonctions en étages. «Ce qui, du point de vue psychique, différencie l’homme de l’animal, précise A. Ombredane, ce n’est pas la présence chez le premier d’un principe simple, d’une âme, c’est le degré de l’organisation [...]. Le nœud du problème est évidemment la détermination de “fonctions distinctes de l’âme”. Les facultés que distinguent les philosophes: la perception, la mémoire, l’imagination, le jugement, le désir, la passion, la volonté, etc., ces facultés ne sauraient avoir chacune un organe particulier [...]; l’idée de Gall est qu’une faculté se définit par la possibilité d’un contact entre une réalité extérieure et une disposition intérieure de l’individu, les facultés se différencient selon leurs objets» (ibid. ). Bref, pour le phrénologue, toutes les fonctions distinctes disposent de systèmes particuliers; cette vision représente encore l’hypothèse de travail de la neurologie actuelle. Si Gall compte beaucoup de détracteurs et suscite beaucoup de réticences de la part de Cuvier, par exemple, il peut se féliciter d’avoir enthousiasmé également Jean Bouillaud (1796-1881) et François Broussais (1772-1838). Selon Broca, Gall a eu l’incontestable mérite de mettre en relief le principe des localisations cérébrales, qui a guidé toutes les découvertes ultérieures sur la physiologie de l’encéphale. «Gall et Spurzheim, déclare Broca cité par A. Ombredane, furent des anatomistes de premier ordre. Ils nous ont appris à étudier le cerveau de bas en haut, et à suivre d’organe en organe, à travers le bulbe et la protubérance, les filons et les faisceaux de la moelle. Mais il se trouve qu’ils ont négligé, comme l’avaient fait tous leurs devanciers, et comme l’ont fait pendant longtemps encore leurs successeurs, l’anatomie descriptive des circonvolutions; or c’était là précisément le nœud de la question, puisque c’était dans les circonvolutions qu’ils plaçaient le siège de la plupart des facultés intellectuelles. Le système reposait donc sur une base anatomique tout à fait insuffisante.» Il convient de citer ici Marc Dax, de Sommières, qui, en 1800, relève des cas de perte de la mémoire des mots consécutive à des lésions hémisphériques gauches.Le XIXe siècle et la méthode anatomocliniqueAu XIXe siècle, bon nombre de travaux neurologiques voient le jour; Charles Bell sur le champ de bataille de Waterloo, excellent dessinateur, fixe dans de rapides esquisses les traits des diverses paralysies; François Magendie démontre les fonctions de la moelle et la sensibilité récurrente des racines antérieures; ailleurs, Pierre Flourens prouve la fonction coordinatrice du cervelet. Enfin, Marshall Hall formule les lois des réflexes que préciseront Johannes Müller et Eduard Pflüger; Hermann von Helmholtz, en 1850, mesure la vitesse de l’influx nerveux dans le nerf gastrocnémien de la grenouille. Auguste Waller en 1856 découvre le rôle trophique des centres nerveux, l’origine des lésions dégénératives. Durant cette période, l’anatomie macroscopique et l’histologie connaissent un essor prodigieux. Il en va de même de la clinique avec Jean Bouillaud, François Broussais, le praticien Bouteille, le célèbre James Parkinson de la paralysie agitante, et Parry (1825), dont le nom est lié à l’atrophie faciale.Léon Rostan, élève de Philippe Pinel, découvre le ramollissement cérébral; il en indique, en 1819, les prodromes, les modalités, et décrit les lésions caractéristiques des artères du cerveau. Harless (1814) et Klohsz décrivent la myélite, Heine (1840), la poliomyélite antérieure aiguë. Cependant, les paralysies diphtériques attendent Trousseau, Lassègue et Bretonneau (1855) pour être diagnostiquées. À ces noms ajoutons ceux de Cruveilhier et de Duchenne de Boulogne. En Allemagne se manifestent, dès 1819, Karl Friedrich Burdach, partisan de l’hétérogénéité structurale et fonctionnelle du cerveau, Theodor Meynert, anatomiste émérite de la moelle et du tronc cérébral, et Moritz H. Romberg, qui marque le début de la neurologie clinique.Cette période, qui débute vers 1820 et se prolonge jusqu’aux alentours des années 1930-1940, est celle de l’approche anatomo-clinique, où l’attention à la symptomatologie clinique des maladies mobilise l’énergie de tous les neurologues et justifie le souci de l’examen clinique obsessionnel, ainsi que l’engouement pour les pièces anatomiques. La méthode anatomo-clinique – fondée sur l’idée que tout désordre comportemental a un substratum anatomique et, vice versa, que toute lésion anatomique se manifeste par des troubles analysables sur le plan clinique – a construit la grande neurologie traditionnelle encore à l’œuvre dans nos connaissances, mais se trouvant escortée d’incontournables démarches paracliniques inspirées par les découvertes des électrophysiologistes, des histologistes et des biochimistes. On doit aux travaux accomplis entre 1850 et 1940 une vue d’ensemble panoramique et une certaine maîtrise du système nerveux central. C’est, en effet, grâce à cette confrontation constante entre signes cliniques et lésions anatomiques que l’étude topographique et fonctionnelle des masses grises et des faisceaux de substance blanche a pu être menée à bien. Cette période est d’une rare fécondité dans plusieurs pays à la fois (France, Angleterre, Allemagne). Quand on ouvre un traité de neurologie écrit dans les années 1960, on trouve à chaque page au moins des noms célèbres désignant un nerf, un espace, un syndrome, un signe clinique, ou une maladie.C’est, en 1861, avec Paul Broca (18241888) qu’on assiste vraiment à une tentative de confrontation anatomo-clinique grâce à «la présentation des deux célèbres observations concernant des patients privés de langage et dont l’examen post mortem avait montré l’existence de lésions cérébrales par ramollissement de la vallée sylvienne» (T. Alajouanine, L’Aphasie et le langage pathologique ). Cependant, en raison d’une interprétation anatomique erronée, le langage articulé fut localisé à la troisième circonvolution frontale. En 1874, Karl Wernicke publie sa monographie intitulée Der aphasische Symptom-Complex , qui apporte une conception nouvelle de l’aphasie: il oppose une aphasie par atteinte du langage articulé à une aphasie où le trouble majeur est d’ordre sensoriel du fait de l’atteinte du centre auditif verbal. Il individualise ainsi l’aphasie sensorielle qui porte son nom. Dans le sillage du courant localisateur naît le courant associationniste fondé sur le postulat qu’il y a de nombreux centres cérébraux entre lesquels s’établissent des associations; on imagine des schémas pouvant rendre compte du fonctionnement du langage et de ses désorganisations: Broadbent met l’accent sur un centre intellectuel; Bastian en 1869, Bajinski en 1871, Lichteim en 1884 inventent aussi des centres et, en 1885, Charcot (1825-1893) propose même un schéma en forme de cloche. Connu pour ses recherches sur l’hystérie, l’hypnose, pour ses leçons sur les maladies du système nerveux, pour ses travaux sur la sclérose latérale amyotrophique – appelée d’ailleurs maladie de Charcot –, le charismatique Jean Martin Charcot transforme tous les chapitres de la neurologie soit seul, soit avec des élèves ou des collaborateurs parmi lesquels il faut citer: Henri Parinaud, qui a donné son nom à un syndrome (la paralysie de la convergence et de la verticalité du regard); Duret, qui rénove la description de la vascularisation cérébrale; Alix Joffroy et Raphaël Lépine, qui décrivent la paralysie pseudo-bulbaire; Combault, Pierret et Albert Pitres (1848-1928), avec lequel Charcot a, selon le mot de Pierre Marie, «tiré du néant l’étude médicale des circonvolutions».On a coutume de situer l’œuvre de Jules Déjerine (1849-1917) dans la neurologie du XXe siècle probablement parce qu’il fut élève de Vulpian et succéda à Fulgence Raymond dans la chaire de la Salpêtrière en 1910. Grâce à cette œuvre, inséparable de celle de Mme Déjerine-Klumpke, l’anatomie des centres nerveux et la sémiologie des affections du système nerveux restent, à travers les années, deux monuments classiques de la neurologie, auxquels se joignent les travaux sur l’aphasie, la névrite hypertrophique, les radiculites, les atrophies cérébelleuses (avec André Thomas), le syndrome thalamique (avec Roussy) et le syndrome sensitif-cortical. Il en est de même des travaux de Pierre Marie, qui nous est historiquement plus proche, et de ceux, universellement connus, de Joseph Babinski (1857-1932). Toute cette neurologie, qui pousse des ramifications jusqu’à Théophile Alajouanine (1890-1980) et Raymond Garcin (1897-1971), dérive en fait de Broca et de Charcot, les fondateurs de la méthode anatomo-clinique, dont l’apogée est liée au nom de Joseph Babinski. Ce médecin français d’origine polonaise, en opposant l’hémiplégie organique à l’hémiplégie hystérique, a réduit l’hystérie au pithiatisme, c’est-à-dire aux troubles que la suggestion peut reproduire et que la persuasion peut faire disparaître. Sa recherche inlassable des signes objectifs lui a permis de découvrir la signification du réflexe cutané plantaire inversé qui porte son nom. Ce neurologiste pouvait, au terme d’un examen clinique minutieux, localiser à un millimètre près le siège d’une lésion médullaire. Babinski a ouvert la voie à la neurochirurgie française avec De Martel et Clovis Vincent. Comme l’écrit Henri Baruk (Humanisme psychiatrique et histoire de la neuro-psychiatrie , p. 16, 1983), «le fondateur de la neurologie moderne a découvert le principe fondamental de la différence entre les atteintes organiques cérébrales et celles de la personnalité. Les premières donnent des signes dissociés imitables par la volonté. Par exemple, le célèbre signe de Babinski, qui indique l’atteinte de la voie pyramidale, donne non seulement une extension de l’orteil mais une contraction du fascia lata irréalisable par la volonté». C’est cette époque que Théophile Alajouanine rappelle avec humour et mélancolie: «En ce temps-là, l’apprenti neurologue se contentait d’un marteau à réflexes [...] et d’une épingle [...]; à cela pouvaient s’adjoindre les tubes d’eau froide et d’eau chaude et un diapason, parfois un compas de Weber; pour les grandes occasions, on usait d’un stimulateur électrique et des aiguilles à ponction lombaire attendaient les circonstances solennelles où elles devaient entrer en jeu. Quel contraste entre cet outillage modeste (avec lequel, ne l’oublions pas, ont été mises à jour bien des entités nosologiques) et la richesse des instrumentations actuellement à la disposition du neurologue, qui lui permettent d’explorer les cavités sous-arachnoïdienne ou ventriculaires par l’injection d’air ou de produits de contraste, de connaître le fonctionnement des ondes électriques cérébrales, de préciser les modalités des influx nerveux, d’employer largement les enregistrements de diverses activités par l’oscillographe cathodique, etc.» (Préface à F. Contamin et O. Sabouraud, Éléments de neurologie ).Vers les neurosciencesÀ la sémiologie clinique traditionnelle les médecins associent peu à peu une sémiologie instrumentale. Dès la fin du XIXe siècle, des chercheurs travaillent dans cette voie. C’est l’entrée en scène des neurophysiologistes, qui s’intéressent aux structures histologiques, aux questions de physiologie et aux problèmes du fonctionnement du système nerveux.Un peu partout dans le monde, les travaux se multiplient: les Allemands Hitzig et Frisch déterminent, en 1870, la zone fronto-pariétale et en précisent, par l’excitation électrique, certaines caractéristiques. De telles recherches annoncent l’électrophysiologie. À Heidelberg, Wilhelm Erb introduit en clinique, avec Von Ziemssen, la réaction de dégénérescence due à Baierlach; il décrit les névrites en même temps que R. Remack et individualise la paralysie spinale spasmodique en 1875. Westphal, avec ses élèves Rumpf et Heubner, étudie la syphilis nerveuse, tandis que Friedrich ouvre, en 1876, le chapitre des maladies nerveuses familiales et que Von Leyden montre, en 1880, l’importance des polynévrites. L’école américaine avec Silas-Weir-Mitchell décrit les névrites traumatiques et l’érythromélalgie, tandis que W. A. Hammond individualise l’athétose. Toujours à la fin du XIXe siècle, l’Angleterre voit surgir une pléiade de brillants neurologues, parmi lesquels Huglinghs Jackson (1835-1911), neurologiste inspiré, qui observe les phénomènes de libération, en même temps qu’il précise l’évolution et la dissolution des fonctions nerveuses: s’appuyant sur le principe de la dissociation automatico-volontaire de Jules Baillarger – qui postule, au cours de certaines lésions, la perte de l’incitation verbale volontaire et la conservation de l’incitation verbale automatique – et se référant à la notion de dissolution de Herbert Spencer, il affirme que les fonctions nerveuses se constituent progressivement et hiérarchiquement au cours de l’évolution et que les dernières fonctions acquises sont les premières altérées en cas de lésions des structures correspondantes. À côté de John Hughlings Jackson, David Ferrier défend la dualité des centres moteurs et sensitifs. Citons aussi à propos de ce domaine de recherche les travaux de Horsley, de Gowers et de Bastian.Comme l’écrit M. Laignel-Lavastine (loc. cit. ), «la neurologie est devenue de plus en plus dynamique. L’anatomie et la physiologie nerveuses se sont rejointes sur le plan de la théorie du neurone formulée par Waldeyer (1891) en conclusion des belles découvertes de Weigert, Fleschig, Golgi, Ramon y Cajal, Van Gehuchten, Von Lenhossek. Les histologistes récents, Campbell (1905), Brodmann, Von Economo, Vogt ont depuis dressé les cartes de l’architectonie cérébrale, qui précisent l’hypothèse de Gall et les idées de Charcot sur l’hétérogénéité structurale du cerveau. Von Monakow éclaire le développement du système nerveux par ses études d’embryologie et d’anatomie comparée».Le médecin et physiologiste français Édouard Brown-Séquard (1807-1894) – qui partage sa vie scientifique entre le Collège de France, où il succède à Claude Bernard en 1878, l’université Harvard et l’hôpital des épileptiques de Londres – fonde l’endocrinologie et introduit les notions d’inhibition et de dynamogénie dans les lois générales des fonctions nerveuses. En Angleterre, sous l’impulsion de Jackson, les recherches sur l’intégration des fonctions, la hiérarchie des centres se développent avec Henry Head et sir Charles Scott Sherrington. De son côté, Ramsay Hunt, aux États-Unis d’Amérique, décompose la contraction musculaire en ses composantes toniques et cinétiques. Le physiologiste Étienne Marey en 1910 fait une étude photographique des mouvements en prenant de très nombreux clichés successifs, ce qui lui permet de décomposer le mouvement chez l’homme et chez l’animal. Cette description avait d’ailleurs été entreprise et assez avancée par la simple observation, grâce à Duchenne de Boulogne en 1890 environ. Dès 1909, le physicien Pierre Weiss et Louis Lapicque, physiologiste, introduisent la notion de chronaxie, qui mesure l’excitabilité des nerfs et des muscles en fonction du temps de passage du courant stimulant. À la même époque, en Russie, Vladimir Mikhaïlovitch Bechterev, psychophysiologiste, et Ivan Petrovitch Pavlov, physiologiste et médecin, tentent d’expliquer l’ensemble des processus cérébraux et le comportement humain à partir des réflexes conditionnés. «L’écorce cérébrale apparaît comme un tableau de signalisation grandiose sur lequel s’établissent toute une série de mécanismes fonctionnels plus ou moins stables, plus ou moins transitoires.»Grâce à des savants anglais comme le physiologiste Charles S. Sherrington (1857-1952) et le médecin Edgard Douglas Adrian (1899-1977), tous deux Prix Nobel de médecine en 1932 pour leurs travaux sur la physiologie du système nerveux, notamment sur la théorie des réflexes, de la coordination des mouvements et la distinction des types de sensibilité, la recherche en neurologie change d’orientation. Cependant, l’apparition de l’électronique avec les oscillateurs cathodiques et les stimulateurs va provoquer non pas un simple changement, mais une coupure nette dans les manières de procéder. C’est la naissance de l’électrophysiologie. Il faut souligner le parallélisme entre les découvertes d’alors et les progrès technologiques liés aux nouvelles instrumentations; une sémiologie fondée sur des examens complémentaires se développe et va régner sans partage jusqu’aux environs de 1970, détrônant parfois l’examen clinique, si cher à Babinski, par exemple.On sait que la découverte de Galvani concernant l’électricité musculaire est à l’origine de l’emploi du galvanomètre dans l’exploration des organes vivants. Le biologiste anglais Caton (1875) ouvre, en travaillant sur l’animal (singe et lapin), la première période de l’électroencéphalographie. Willem Einthoven (1903), physiologiste hollandais, et Herbert Gasser, physiologiste américain, étudient, en 1922, l’un l’enregistrement galvanométrique et l’autre l’enregistrement électronique des courants produits par certains organes en fonctionnement. Hans Berger, en 1924, inaugure chez l’homme la période clinique de la méthode en enregistrant l’électroencéphalogramme de l’un de ses malades de l’hôpital d’Iéna trépané un an auparavant par Guleke. À partir de cette date s’effectuent de nombreux travaux sur ce procédé d’exploration. Des perfectionnements techniques lui sont apportés et actuellement on utilise l’électroencéphalographie quantifiée. Toutes les affections cérébrales bénéficient de cette méthode.L’électrophysiologie du neurone, c’est-à-dire du système nerveux périphérique, progresse également avec les travaux d’Allan L. Hodgkin et d’Andrew F. Huxley sur la conduction des axones et la théorie des courants locaux tandis que les recherches de John C. Eccles, neurologue australien, qui partage avec les deux premiers le prix Nobel de médecine en 1963, nous apportent une meilleure connaissance de la transmission neuromusculaire. La physiopathologie des lobes cérébraux s’enrichit; le rôle des noyaux centraux se précise. L’étude du système sympathique connaît un grand développement avec Langley, Cassirer, Eppinger et les rapports des glandes endocrines avec le système nerveux ouvrent la voie à la neurochimie, à l’histophysiologie, à l’histochimie.Depuis les années 1960, les méthodes d’exploration du système nerveux s’affinent. Outre l’imagerie statique obtenue par la radiographie standard, on dispose de certaines explorations électrophysiologiques fonctionnelles telles que l’électroencéphalogramme, les potentiels évoqués – concernant le tronc cérébral (auditifs), corticaux primaires (sensitifs, visuels et auditifs), corticaux secondaires (domaine psychologique et perceptif, attention, sélection) – qui aident à mieux comprendre certains mécanismes physiopathologiques. S’y ajoutent les explorations périphériques, comme l’électromyographie, vasculaires, comme les angiographies et le doppler, l’exploration de la moelle par la myélographie. L’imagerie statique et l’imagerie dynamique fonctionnelle constituent les acquis les plus importants de la période contemporaine: le scanner ou tomodensitométrie, la R.M.N. (résonance magnétique nucléaire), la débit-métrie, etc., font désormais partie de toute démarche diagnostique.Mais, de plus en plus, les neurophysiologistes vont désormais employer le langage de la théorie de l’information et utiliser des concepts comme ceux de communication, de message, de redondance, décodage pour décrire le fonctionnement du système nerveux central: «L’existence de communications dans le système nerveux, écrit Henri Atlan, avait été reconnue depuis longtemps comme un des traits caractéristiques de ce système, de même que l’existence de messages transmis par des fibres nerveuses, qu’il s’agisse de messages sensoriels et sensitifs des fibres afférentes, ou de messages d’action ou effecteurs des fibres efférentes. Dans ce schéma, les centres nerveux situés entre ces deux sortes de fibres jouent le rôle d’une voie de communication, dont la forme la plus simple est réalisée dans l’arc réflexe et qui apparaît compliquée à l’extrême quand il s’agit du fonctionnement cérébral» (L’Organisation biologique et la théorie de l’information ). Mais le système nerveux est un système naturel dans lequel le physiologiste reconnaît au neurone, en tant qu’unité fonctionnelle, trois propriétés caractéristiques: «Son aptitude à répondre à une excitation par la formation d’un réflexe nerveux; son aptitude à conduire cet influx le long de ses prolongements: la conduction; enfin son aptitude à transmettre l’état d’excitation à d’autres cellules, malgré la distance qui les sépare et qui peut atteindre 50 nanomètres: la transmission» (J. Taxi, in La Recherche en neurologie ).Ainsi passe-t-on insensiblement de la période électrophysiologique à la période neurobiologique, qui explique la plupart des phénomènes neurologiques par la transmission d’informations grâce aux médiateurs chimiques [cf. NEUROCHIMIE]. La neurotransmission nous est connue depuis que Sherrington en 1897 a introduit en neurologie le terme de synapse (du grec sunapsis , «liaison», «attache») pour désigner les jonctions entre deux cellules nerveuses, et depuis que Otto Loewi en 1921 a apporté la preuve de la transmission chimique en irriguant deux cœurs de grenouille par un même liquide de perfusion: la stimulation vagale du premier entraînant une bradycardie, le second se trouve lui aussi ralenti; seule la substance chimique du liquide de perfusion peut en être la cause. «C’est en 1934 que Dale et Feldberg ont montré, par des expériences désormais classiques, qu’une substance capable de déclencher la contraction des fibres musculaires était libérée par les muscles lors de la stimulation du nerf moteur. Ils l’identifièrent bientôt comme étant l’acétylcholine» (J. Taxi). En 1955, les travaux de del Castillo et Katz et surtout les méthodes employées en 1961 par Krujevic et Mitchell firent évaluer à 5 millions de molécules la quantité d’acétylcholine libérée par un influx nerveux au niveau d’une seule plaque motrice. Cela confirme amplement le rôle de neuromédiateur de cette substance.Depuis la fin des années 1960, les recherches en neurologie s’articulent autour de la notion de transmission de l’influx nerveux à travers la synapse. «On réserve généralement le terme de synapse aux jonctions interneuronales dans lesquelles la transmission implique la mise en jeu d’un médiateur chimique. En raison d’importantes analogies de fonctionnement, on nomme également synapses les jonctions entre nerf et muscle strié. On parle alors de synapses neuromusculaires ou myoneuronales, par opposition aux synapses interneuronales» (J. Taxi, loc. cit. ). La découverte importante des biologistes est la reconnaissance et l’identification, au niveau de la jonction synaptique, interneuronale ou neuromusculaire, d’un médiateur chimique libéré au niveau de la terminaison nerveuse et présentant certaines caractéristiques qui peuvent en faire un neuromédiateur ou un neurotransmetteur. Il semble que les neuromédiateurs sont légion. La noradrénaline, d’abord reconnue comme médiateur du système nerveux autonome, est maintenant considérée comme pouvant avoir des fonctions de médiateur dans le système nerveux central, en même temps qu’une autre catécholamine, la dopamine, et qu’une indoal-kylamine, la sérotonine ou 5-hydroxytriptamine. C’est grâce aux méthodes biochimiques mises au point dès 1954 qu’on a pu déceler la présence, en quantité importante, de plusieurs de ces substances dans certaines régions du cerveau. Le corps strié est connu maintenant pour sa teneur en dopamine, l’hypothalamus pour sa richesse en noradrénaline et le noyau dorsal du raphé pour la sérotonine. De plus, en 1962, Falk et Hillary ont mis au point une méthode qui permet de reconnaître par une fluorescence caractéristique les structures comportant de la noradrénaline, de la dopamine et de la sérotonine et qui montre que les amines sont localisées dans les neurones ou les fibres nerveuses. Le médiateur traverse la synapse et va se fixer sur des sites récepteurs postsynaptiques. Or certaines substances qui circulent dans l’organisme peuvent occuper ces sites récepteurs postsynaptiques et bloquer la transmission normale en quelque sorte par compétition. Des substances comme les prostaglandines, les acides carboxyliques à longue chaîne et l’histamine pourraient être des neuromédiateurs; mais des difficultés techniques s’opposent à des démonstrations rigoureuses à ce sujet, en dépit d’applications très importantes de ces hypothèses dans le traitement de diverses maladies (par exemple l’utilisation de la L. Dopa dans la maladie de Parkinson). On sait maintenant que le cerveau, en particulier certaines de ses structures, contient des récepteurs morphiniques auxquels se lieraient des polypeptides endogènes: les endorphines et enképhalines. Ces neurones enképhalinergiques apportent un élément nouveau et important dans la compréhension de la douleur. Ils interviennent aussi dans la régulation de l’humeur et du comportement. On est là en présence d’une véritable neuroendocrinologie et aussi d’une neuropsychologie, dans la mesure où la douleur retentit sur le psychisme et vice versa. Mais est-il étonnant que le système nerveux central – qui est d’une très grande complexité, avec ses neurones autonomes mais anastomosés en réseaux, avec ses voies d’association longues et courtes, ses phénomènes de feed-back, d’adaptation, d’apprentissage, de sélection et son organisation hiérarchisée capable de traiter un nombre important d’informations – puisse rendre compte de l’homme normal et de ses troubles et nous entretenir même de ses passions les plus intimes, de ses rêves?La neurochimie et la neurologie s’intéressent aussi aux infections bactériennes du système nerveux (méningites, tuberculose cérébro-méningée, syphilis, etc.) et à ses infections virales, comme aux manifestations neurologiques non spécifiques des infections virales.Parmi les préoccupations actuelles des neurologues, il faut citer, en premier lieu, les maladies dégénératives qui affectent l’écorce cérébrale de façon majeure ou prédominante et qui provoquent une détérioration lentement progressive avec perturbations de la pensée, du langage, de la capacité d’abstraction ou de généralisation (démence sénile, maladie d’Alzheimer, maladie de Pick, maladie de Creutzfeldt-Jakob, chorée de Huntington). On évoque à ce sujet des anomalies des neurotransmetteurs dans le système nerveux central. Pour la schizophrénie, l’épilepsie et la dépression, certains pensent aussi à des troubles biochimiques, la neuropsychopharmacologie et l’immunologie intervenant alors pour essayer d’expliquer et de guérir. On étudie aussi avec passion les différents types de mémoire en intégrant les données de la psychologie cognitive. «Les théories actuelles de la mémoire, note C. Derouesné, ont toutes pour base les travaux sur la constitution de modèles informatiques et l’intelligence artificielle [...]; il semble que la structure associative, en réseau, de la mémoire soit établie. Trois phases doivent être distinguées dans les processus mnésiques: l’apprentissage, le stockage de l’information, sa restitution.» Le cortex cérébral et le circuit hippocampo-mamillo-thalamique de Papez constituent les substrats biologiques de la mémoire. Dans les activités mnésiques interviennent aussi des structures qui sous-tendent l’attention (formation réticulaire, thalamus, le cingulum), les motivations, les capacités d’organisation (lobes frontaux). Enfin, la génétique est devenue, en grande partie pour des raisons liées à la neurotransmission et à la chimie moléculaire, un des aspects importants de la neurologie. Plusieurs maladies jadis inclassables sont, en fait, des affections neurologiques ayant une origine génétique. Leur transmission peut être autosomique dominante, récessive ou liée au chromosome X [cf. HÉRÉDITÉ].Mais d’autres facteurs importants du système nerveux central nécessitent une nouvelle mise en perspective. En effet, si le problème de la dominance cérébrale ou de la fonction de chaque hémisphère cérébral a été en partie résolu par les travaux de Kimura au Japon, si l’étude du comportement dyspraxique de sujets qui ont subi une section calleuse (séparation hémisphérique après section du corps calleux) nous a apporté quelques lumières sur le fonctionnement des hémisphères cérébraux, bien d’autres points restent encore dans l’ombre. Ces derniers travaux ont montré que les malades qui ont subi la section des commissures interhémisphériques se distinguent des sujets normaux par leur aptitude à exécuter une double tâche.À la fin du XXe siècle, la neurologie est passée de l’ère descriptive à celle de l’intervention thérapeutique. Relevant de la biologie cellulaire et moléculaire, du génie génétique, de la biophysique électronique, de l’hormonologie, etc., la neurobiologie est désormais au cœur de toute la pathologie du système nerveux et devrait pouvoir bientôt, dans de nombreux domaines, indiquer des moyens thérapeutiques efficaces. L’identification de protéines spécifiques de certains types cellulaires dans les tumeurs cérébrales, la mise au point de chimiothérapies plus adaptées, les recherches sur les protéines opérationnelles et le cyto-squelette ont progressé. Mais l’histoire de la neurologie comporte aussi certains aspects curieux. Freud, neurologue de formation, aurait aimé comprendre le fonctionnement du système nerveux en termes de physiologie; il s’est tourné vers la psychanalyse parce qu’il n’avait pas les moyens techniques d’explorer scientifiquement et en est venu à élaborer des concepts comme l’inconscient, le refoulement, l’abréaction. Or à l’époque où il est devenu psychologue clinicien, il existait en France un mariage de fait entre neurologie et psychologie, tous les neurologues étaient officiellement des neuropsychiatres. À l’étranger, en revanche, il y avait, d’un côté, des neurologues organicistes et, de l’autre, des psychiatres qui s’occupaient de l’esprit. Puis le mouvement s’est inversé: en France, on sépare et, à l’étranger, on marie.Après avoir ouvert la voie à des spécialités médico-chirurgicales comme la rhumatologie, l’orthopédie, la médecine physique, la neurologie ne cesse d’interroger les supports concrets de l’activité nerveuse, support moléculaire, structures cellulaires, réseaux neuronaux, médiateurs chimiques, de sorte qu’elle se trouve confrontée à une réflexion d’ordre beaucoup plus général qui dépasse le cadre de la simple pathologie ou de la simple physiologie. De même que le mystère et le sacré semblent aujourd’hui échapper aux seuls textes d’initiés pour resurgir dans le domaine de la physique nucléaire ou de la cosmologie, la neurologie devra, dans l’avenir, se prononcer sur toute une série de problèmes d’ordre spirituel, esthétique et métaphysique. Le système nerveux central reste au cœur de toutes les activités humaines. Mais les grandes découvertes présentes, notamment celle des neuromédiateurs, ne font que répercuter en écho ce qu’Ambroise Paré murmurait déjà: «Il y a plus de choses à découvrir qu’il n’y en a de trouvées.»
Encyclopédie Universelle. 2012.